Le « Say on Climate » obligatoire a été retiré du projet de loi

par Irene Bucelli

Après avoir proposé de rendre les résolutions climat obligatoires pour les entreprises françaises cotées en bourse, les législateurs français ont en fin de compte renoncé à cette option. Toutefois, les votes consultatifs sur la stratégie climatique des entreprises restent relativement populaires en France et les « Say on Climate » continueront probablement à apparaître lors des AG sur une base volontaire.

Cet article donne un aperçu des dispositions du projet de loi sur l’industrie verte qui ont été retirées, ainsi que de l’actualité sur les pratiques du marché français en ce qui concerne les résolutions climat.

Législation sur le « Say on Climate »

En juillet 2023, l’Assemblée nationale a approuvé un amendement concernant l’introduction obligatoire des résolutions climat dans l’ordre du jour des AG des entreprises cotées en France. La modification, qui faisait partie du projet de loi sur l’industrie verte, comprenait l’introduction d’une résolution à titre consultatif sur la stratégie climat et durabilité des entreprises tous les trois ans (ou lors d’un changement significatif apporté à la stratégie), ainsi qu’un vote consultatif chaque année sur le rapport annuel sur la mise en œuvre de la stratégie climat et durabilité. L’introduction de ces résolutions aurait pu être obligatoire pour toutes les entreprises cotées en France.

Au début du mois d’octobre 2023, les dispositions sur le « Say on Climate » ont été retirées du projet de loi quelques heures avant que la commission mixte paritaire ait la possibilité de débattre de cet amendement. Finalement, il n’y aura aucune obligation juridique pour les entreprises françaises cotées de soumettre à l’approbation de leurs actionnaires une résolution climat lors de leurs assemblées générales.

L’opinion du marché français sur le « Say on Climate » obligatoire

Les organisations françaises qui s’occupent de la gouvernance d’entreprise ont des points de vue différents sur la question de rendre obligatoire les résolutions climat. Le gouvernement français n’a pas soutenu l’amendement lorsqu’il a été présenté en juillet 2023.

L’AFEP, association française des entreprises privées, a un point de vue similaire ; le code AFEP-MEDEF, mis à jour en décembre 2022, recommande que les entreprises françaises présentent leur stratégie climatique à leur assemblée générale annuelle au moins tous les trois ans, afin de garantir que les investisseurs soient informés des principales actions engagées en matière de stratégie climatique. Cependant, la dernière version du code n’inclut pas l’obligation de soumettre cette stratégie au vote. C’est ce que la plupart des entreprises qui suivent le code AFEP-MEDEF a fait cette année, en présentant leur stratégie climat aux actionnaires lors de l’AG sans la soumettre au vote.

Toutefois, certaines organisations se sont montrées très favorables à l’introduction du « Say on Climate » obligatoire. Le FIR, Forum pour l’Investissement Responsable, une association multi parties prenantes dont l’objet social est de promouvoir et de développer l’investissement responsable, avait notamment félicité l’approbation de l’amendement en juillet. Après le retrait de la résolution climat du projet de loi, le FIR a décrit ce dernier comme une « opportunité manquée », en attribuant le résultat au lobbying politique et à la « réticence des entreprises à ouvrir le dialogue » sur le sujet.

« Say on Climate » : les pratiques actuelles du marché

Malgré le retrait du « Say on Climate » du projet de loi, les entreprises françaises peuvent continuer à présenter volontairement des résolutions climat lors de leurs AG. Au cours de cette année, le nombre de « Say on Climate » présentés dans les entreprises européennes a en général diminué par rapport à 2022 : la France est devenue le marché avec le plus grand nombre de résolutions climat proposées par les entreprises en 2023 au niveau mondial, après que le nombre d’entreprises britanniques ayant présenté un « Say on Climate » a diminué de près de moitié par rapport à l’année précédente.

Malgré sa position en tête du classement, le nombre de résolutions climat a légèrement diminué en France. En 2023, neuf « Say on Climate » et un point complémentaire à l’ordre du jour (sans résolution soumise au vote) ont été proposés par les conseils d’administration lors des AG, contre 12 en 2022. Cette baisse de 17 % s’est produite malgré le large soutien des parties prenantes à l’intégration de la stratégie climatique dans la stratégie d’entreprise : l’AFEP, le Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris, la Commission Climat et Finance Durable et l’Autorité des Marchés Financiers ont tous publié des déclarations entre décembre 2022 et mars 2023 sur la pertinence croissante du sujet.

Résolutions « Say-on-Climate » proposées par les entreprises

Pourcentage de votes “pour” par rapport à la totalité des votes, y compris les abstentions.

Bien qu’il y ait eu moins de résolutions climat en 2023, les actionnaires ont continué à garder le sujet du climat vif dans leur conversations avec les entreprises. Au cours de cette année, deux résolutions climat proposées par les actionnaires et deux points de discussion (non soumis au vote) ont été inscrits à l’ordre du jour des AG françaises, ce qui contraste fortement avec l’année précédente, quand en France aucune résolution climat proposée par les actionnaires n’avait été inscrite à l’ordre du jour.

Le « Say on Climate » a commencé à apparaître dans les ordres du jour des AG des sociétés françaises cotées en 2021 ; Vinci, Atos et TotalEnergies SE ont présenté les premières résolutions climat, qui ont été soutenues en masse par leurs actionnaires. Toutefois, si l’on tient compte des abstentions, il existe un écart assez important dans le soutien des actionnaires entre le « Say on Climate » de Vinci (qui a reçu 96,6 % de soutien) et ceux d’Atos et de TotalEnergies SE, qui ont chacun reçu environ 84 % de soutien mais un nombre important d’abstentions (en excluant les abstentions, les niveaux de soutien ont atteint 97 % pour Atos et 92 % pour TotalEnergies SE).

En 2022, le nombre d’entreprises ayant présenté un « Say on Climate » a quadruplé par rapport à l’année précédente. Si le soutien des actionnaires à l’égard de ces résolutions est resté élevé, la gamme de résultats s’est élargie, d’une part, le « Say on Climate » chez Mercialys a reçu moins de 80 % de soutien, et d’autre part, la résolution climat chez Électricité de France, détenue à 89 % par l’État français, a reçu 99,6 % de votes en faveur.

Quatre entreprises françaises ont décidé de présenter le « Say on Climate » plusieurs années de suite ; Amundi SA, Carrefour SA et Icade SA ont inclus une résolution climat à la fois en 2022 et en 2023, tandis que TotalEnergies SE a été la seule entreprise française à présenter cette résolution au cours de chacune des trois dernières années. Le soutien à ces « Say on Climate » répétés est resté généralement stable d’une année sur l’autre, avec une augmentation ou une diminution mineure de 1 % ou 2 %.

L’avis de Glass Lewis sur les « Say on Climate » et ses recommandations de vote

Le soutien de Glass Lewis aux « Say on Climate » a également augmenté en 2023 ; en 2022, Glass Lewis a recommandé de soutenir 67 % de ces résolutions, de s’abstenir sur environ 17 % et de s’opposer aux 17 % restants. En 2023, cependant, nous avons recommandé de soutenir 77 % des « Say on Climate » et de s’abstenir sur les 23 % restants, lorsque les entreprises n’avaient pas fourni d’explication sur la manière dont le conseil d’administration entendait interpréter les résultats du vote et leur impact sur les efforts d’engagement actionnarial.

Pour en savoir plus sur notre approche en matière de « Say on Climate », cliquez ici.

D’autres résolutions liées au climat

D’autres résolutions liées au climat ont également été inscrites dans l’ordre du jour des entreprises françaises au cours du premier semestre de 2023. Par exemple, chez Engie, les actionnaires ont présenté un point de discussion non soumis au vote, ainsi qu’une résolution demandant à Engie d’inclure dans ses statuts la possibilité pour le conseil d’administration de décider de soumettre une résolution climat à ses actionnaires.

En outre, chez Carrefour, un groupe d’actionnaires a proposé un point de discussion (non soumis au vote) sur la stratégie climatique de l’entreprise, qui a été rapidement suivi par l’inclusion d’un « Say on Climate », présenté par le conseil d’administration.

Enfin, chez TotalEnergies, un « Say on Climate » inscrit à l’ordre du jour par le conseil d’administration a été présenté parallèlement à une résolution d’un groupe d’actionnaires demandant que l’entreprise aligne ses objectifs de réduction des émissions Scope 3 pour 2030, concernant l’utilisation de ses produits énergétiques, avec l’Accord de Paris sur le climat. Bien que les résolutions des actionnaires n’aient pas été approuvées, toutes les deux ont reçu un soutien assez remarquable (21,3 % chez Engie et 28,6 % chez TotalEnergies).

Quel avenir pour les résolutions climat ?

L’intérêt des investisseurs pour les questions liées au climat reste fort, mais l’avenir du « Say on Climate » est incertain sur le marché français, face au retrait de la disposition sur le vote obligatoire du projet de loi, au nombre décroissant de votes consultatifs sur la stratégie climatique à travers l’Europe, ainsi qu’à l’évolution des approches des investisseurs sur ce sujet. Bien qu’un afflux massif de résolutions ne soit pas attendu lors des AG en 2024, le climat est susceptible de rester à l’ordre du jour des AG sous une forme ou une autre.